Comment survivre aux crises?

Le thème de la crise suscite la fécondité des intellectuels. Après Temps des crises1 du philosophe Michel Serres, qui par-delà le récent séisme financier révèle la transformation radicale de la planète et des modes de vie, le dernier ouvrage de l’économiste Jacques Attali, Survivre aux crises2, prolonge l’analyse précédente en proposant des stratégies concrètes d’adaptation aux inéluctables soubresauts des dix prochaines années.

De la crise boursière au «Nouveau Moyen âge»

Après un rapide survol des douze mois écoulés depuis l’avalanche boursière de 2008 et un retour sur ses origines profondes, qu’il situe dès 1979 lors de l’arrêt de l’augmentation des salaires réels américains puis avec l’endettement non maîtrisé d’un Occident toujours plus consommateur, Jacques Attali dresse différents scénarios économiques pour les prochaines années. Il reste cependant très prudent sur leur pronostic, tant les causes de déséquilibres sont nombreuses, et la probabilité de survenance de nouvelles crises est élevée. Selon l’auteur, l’insuffisance de fonds propres des entreprises, l’explosion de la «bulle chinoise», le protectionnisme et l’hyperinflation représentent des crises aussi probables que les conséquences du peak oil sur l’approvisionnement énergétique, la survenance d’une crise écologique majeure, ou celle d’une pandémie incontrôlée.

Ces risques sont entretenus par les puissants mouvements de fond que sont l’explosion démographique, le progrès technique et les NBIC3, une utilisation plus efficiente de l’énergie et des matières premières, et un basculement géopolitique vers l’Asie et l’Afrique. Ainsi, le proche avenir devrait ressembler à «un nouveau Moyen âge» où les agglomérations urbaines, qui produisent déjà plus des deux tiers des richesses et 90% des innovations, seront prédominantes, et où le corporatisme entravera l’action des Etats et des organismes internationaux. Côté idéologique, la liberté individuelle, la démocratie, mais aussi l’individualisme domineront les pensées, au détriment de la solidarité sociale, des services publics et de la loyauté dans les relations humaines.

Guide de survie dans un monde instable

Prenant acte du triomphe à court terme de l’économie de marché, mais conscient des fortes instabilités qui l’accompagneront, Jacques Attali propose ensuite un guide de survie à l’usage des entreprises, des nations et des individus. Le propos débute par une rapide mise à l’écart des stratégies dites passives adoptées par les spectateurs «impuissants de leur propre destin». Les stratégies collectives à caractère politique ne présentent pas plus d’intérêt pour l’auteur, même si la solidarité et l’action prédominent.

Rappelant la signification du mot «survivre» (vivre le plus longtemps possible), il étudie le comportement de ceux ayant survécu à des conditions extrêmes, tout en méditant sur la maxime du philosophe chinois Lao Tseu selon lequel «pour survivre, chacun doit s’ingénier à chercher des fissures dans l’infortune pour parvenir à s’évader quelque peu». Prenant exemple sur les peuples premiers, les rescapés de catastrophes, les juifs rescapés de la Shoah, mais aussi sur les techniques sportives du rodéo ou du surf où l’instabilité est permanente, Jacques Attali en déduit les sept concepts de survie suivants: respect de soi, intensité, empathie, résilience, créativité, ubiquité, pensée révolutionnaire.

Un appel à une nouvelle gouvernance des entreprises

Déclinés sur le plan personnel, ils rappellent le caractère d’une personne équilibrée, ouverte aux autres et au monde, autonome, multilingue, mais aussi en alerte permanente, créative, capable de changer d’identité, et prête à tout abandonner si nécessaire. Autant dire que bien peu de gens possèdent toutes ces qualités. Appliqués à l’entreprise, ces principes deviennent alors synonymes de souplesse financière, de solidité des fonds propres, d’anticipation des risques, d’innovation permanente, mais ils supposent avant tout loyauté et respect envers les employés, les actionnaires et les partenaires commerciaux. Pour y parvenir, les dirigeants d’entreprises et l’ensemble du management doivent non seulement être à l’écoute du marché, avoir une vision à long terme, mais doivent en premier lieu «respecter l’entreprise qu’ils servent», se distinguer par «leur exigence morale, …leur humilité, …leur aptitude à dire la vérité... et accepter d’être contredits par leurs collaborateurs». Autant de qualités qui semblent singulièrement avoir manqué à bon nombre de dirigeants ces vingt dernières années.

Ainsi, à l’instar de nombreux autres intellectuels modernes, mais par le biais d’une analyse pertinente et très originale, Jacques Attali lance son appel à une nouvelle gouvernance d’entreprise.

1 Temps des crises, de Michel Serres, Editions Le Pommier, 2009
2 Survivre aux crises, de Jacques Attali, Librairie Arthème Fayard, 2009
3 NBIC : Nanotechnologies, Biotechnologies, Technologies de l’Information, Sciences Cognitives